Association Française des Professeurs de Chinois

POÉSIES DE
L'ÉPOQUE
DES THANG


    I.
1. Introduction
2. Antiquité
3. Pré Thang
4. Thang
    II.
1. Langue
2. Prosodie
3. Stylistique
4. Conclusion
    Poésies de
1. LI-TAÏ-PÉ,
2. THOU-FOU,
3. AUTRES,
4. AUTRES 2.

Poésies de l’époque des Thang

traduites du chinois et présentées
par le Marquis d'Hervey-Saint-Denys

Poésies de Li Bai (alias Li Po)

Li-taï-péA Nan-kingLe brave En bateauEn face du vinLa chanson des quatre saisonsSur les bords du Jo-yeh Le retour des beaux jours Strophes improvisées Le palais de Tchao-yang Un jour de printemps, le poète exprime ses sentiments au sortir de l’ivresseSur la Chanson des têtes blanches ... nuit à boire avec un amiPensée dans une nuit tranquille La perdrix et les faisans Chanson à boireA cheval ! à cheval et en chasse !Quand les femmes de Yu-tien cueillaient des fleursA l’heure où les corbeaux vont se percher sur la tour de Kou-souChanson des frontièresMême sujet (chanson des frontières)Pensées d’automne Offert à un ami qui partait pour un long voyageLe cri des corbeaux à l’approche de la nuitLa chanson du chagrin

Li-taï-pé

Ce nom, qui passera pour la première fois peut-être sous les yeux de ceux qui voudront bien me lire, est depuis plus de mille ans si populaire à la Chine qu’on l’y trouve partout inscrit, dans le cabinet du lettré comme dans la maison du laboureur, sur les rayons des bibliothèques ou sur les panneaux des plus pauvres murailles, sur les bronzes, sur les porcelaines et jusque sur les poteries d’un usage journalier. Il n’est point de genre que n’ait abordé le génie fécond du poète que ce nom représente, et, tandis que l’étudiant relit ses vers, le paysan redit ses chansons.

Li-taï-pé, que l’on appelle aussi par abréviation Li-pé, était né dans le Sse-tchouen, l’an 702 de notre ère. Li était son nom de famille ; taï-pé, littéralement grand éclat, un surnom que sa mère lui donna dès sa naissance, parce qu’elle avait cru remarquer, dans le temps même où elle le conçut, que l’étoile brillante qui précède le lever du soleil jetait un éclat extraordinaire.

Il fit des études très fortes, obtint le grade de docteur à vingt ans, et occupait déjà le premier rang parmi les érudits et les poètes de sa province, lorsqu’il résolut de se rendre à la capitale, où la protection que l’empereur Ming-hoang accordait aux lettres attirait de toutes parts les hommes de talent. La première des années dénommées Tien-pao, c’est-à-dire l’an 742 de J.-C., il prit donc la route de Tchang-ngan, sans autre protection que l’éclat de sa verve et le bruit de son nom.

La cour du monarque chinois avait son Mécène, le ministre Ho-tchi-tchang, à qui Li-taï-pé se fit d’abord présenter. C’était un de ces esprits heureusement doués, qui partagent leur temps entre la science et le plaisir. Exerçant auprès de l’empereur de graves fonctions qui exigeaient une assiduité constante, il aimait à trouver chez lui, au retour de l’audience, des hommes d’une conversation fine et variée, dont il sentait le charme en homme de goût. Les improvisations brillantes du nouveau venu lui inspirèrent une admiration très vive : il voulut qu’il logeât dans son propre palais, et ne tarda pas à en faire son meilleur ami. Saisissant bientôt l’occasion de vanter à l’empereur les mérites de son hôte, il lui inspira l’envie de le connaître. Ming-hoang ne fut pas moins charmé que ne l’avait été son ministre, il vit dans le jeune poète une des principales gloires de son règne, et Li-taï-pé sut acquérir une faveur telle, que l’histoire chinoise n’en a guère de semblable à enregistrer.

Le Père Amiot consacre une assez longue notice à Li-taï-pé, parmi ses portraits des Chinois célèbres ; il donne plusieurs détails tirés de ses biographies qu’il me semble intéressant de lui emprunter.

« “J’ai, dans ma maison, avait dit Ho-tchi-tchang à l’empereur chinois, le plus grand poète peut-être qui ait jamais existé : Je n’ai pas osé en parler encore à Votre Majesté, à cause d’un défaut dont il paraît difficile qu’il se corrige : il aime le vin, et en boit quelquefois avec excès. Mais que ses poésies sont belles ! Jugez-en vous-même, seigneur”, continua-t-il en lui mettant entre les mains quelques vers de Li-taï-pé.

« L’empereur lut ces vers et en fut enthousiasmé. “Je sais, dit-il, condescendre aux faiblesses de l’humanité. Amenez-moi l’auteur de ces poésies ; je veux qu’il demeure à ma Cour, dussé-je ne pas réussir dans les efforts que je tenterai pour le corriger.” »

Li-taï-pé fut donc présenté le jour même. Le souverain lui assigna une place parmi les lettrés de sa Cour, et prit tant de plaisir à sa conversation qu’il ne fut pas longtemps sans l’honorer de sa plus intime familiarité. Il lui donna un appartement dans celui de ses jardins nommé Theng-hiang-ting, où il allait se délasser après avoir terminé les affaires de l’Empire. Là, délivré de la gêne du cérémonial, il s’entretenait avec son sujet comme avec son égal ; il lui faisait faire des vers et surtout des couplets de chansons qu’ils chantaient ensuite ensemble ; car l’empereur aimait la musique, et Li-taï-pé joignait à ses autres talents celui de chanter avec grâce. Tandis que le poète composait, l’empereur poussait parfois la complaisance jusqu’à lui servir de secrétaire. Quelques courtisans voulant représenter à ce prince qu’il en faisait trop, qu’une pareille conduite pourrait l’abaisser aux yeux de ses sujets : « Tout ce que je fais pour un homme d’un aussi beau talent, leur répondit-il, ne peut que m’honorer auprès de ceux qui pensent bien ; quant aux autres, je méprise le jugement qu’ils peuvent faire de moi. »

Une infinité d’anecdotes, recueillies par la tradition, témoignent de cette faveur insigne dont Li-taï-pé fut en possession durant plusieurs années. L’empereur pensait même à lui conférer une charge considérable, lorsqu’il en fut empêché par des intrigues de palais, que le père Amiot raconte ainsi :

« Il y avait à la cour un eunuque appelé Kao-li-ché, qui jouissait d’une autorité très grande ; il recevait les hommages de tous les courtisans ; les ministres même étaient pour lui pleins de déférence. Le seul Li-taï-pé semblait ne pas s’apercevoir de son crédit, il arriva même que ce poète étant avec l’empereur dans le jardin de Theng-hiang-ting, et paraissant ne pouvoir marcher qu’avec peine, parce qu’une chaussure neuve lui tenait le pied trop à l’étroit, l’empereur lui dit de se mettre à l’aise, et ordonna à l’eunuque Kao-li-ché de le déchausser. Li-taï-pé se laissa faire, et l’orgueilleux eunuque en conserva la rage dans le cœur,

« L’occasion de se venger lui parut favorable, quand il apprit que Ming-hoang songeait à combler d’honneurs celui qu’il haïssait. Li-taï-pé avait composé quelques stances qu’on pouvait interpréter en satires contre la célèbre Yang-feï, plus connue sous son titre de Taï-tsun, et pour laquelle l’empereur avait une tendresse aveugle. L’eunuque sut exciter la colère de cette favorite et s’en faire une arme contre son ennemi. Li-taï-pé, de son côté, plus choqué d’être soupçonné d’avoir voulu insulter son maître que d’avoir manqué une fortune qu’il n’ambitionnait point, prit peu à peu un tel dégoût de la Cour, qu’il résolut de rompre entièrement tous les liens qui l’y attachaient. Il pria l’empereur avec tant d’instance de lui permettre de se retirer, et revint si souvent à la charge, que ce prince lui accorda enfin sa demande. Voulant toutefois lui donner des preuves de l’estime dont il l’honorait, Ming-hoang lui fit présent d’un assortiment complet de ses propres habits, faveur qu’il ne concédait que très rarement et seulement pour des services rendus à l’Empire. A ce présent honorable il joignit celui de mille onces d’or.

« Un traitement si magnifique, ajoute le père Amiot, aurait dû pénétrer celui qui le recevait de la plus vive reconnaissance ; mais Li-taï-pé ne prouva que trop, par la conduite qu’il tint ensuite, que les qualités du cœur, chez un grand poète, n’égalent pas toujours celles de l’esprit. A peine eut-il recouvré sa liberté qu’il se mit à parcourir au hasard toutes les provinces de l’Empire, ne s’arrêtant que dans les tavernes, et s’abandonnant sans réserve à sa passion pour le vin [Mémoires concernant les Chinois, t. V, pp. 399-403]. »

Etait-ce bien le vin qu’il aimait ? N’était-ce point plutôt l’étourdissement que procure l’ivresse ? L’oubli de cette vague inquiétude, de cette pensée de la mort qui l’obsédait sans cesse, et qu’on retrouve constamment dans ses vers ? Le mélange d’insouciance et de tristesse, qui fait le fond du caractère de Li-taï-pé, se rencontre très fréquemment parmi les membres de la grande famille chinoise. Il ne serait pas surprenant que cette disposition d’esprit du célèbre poète eût contribué beaucoup, pour sa part, à la vogue énorme de ses écrits.

Li-taï-pé menait depuis plusieurs années cette vie vagabonde, lorsqu’un grand seigneur, de ceux qu’il avait connus jadis à Tchang-ngan, parvint à le fixer près de lui. Ce seigneur devint l’un des chefs de la formidable révolte qui éclata durant les dernières années du règne de Ming-hoang, et le poète, bien que ses panégyristes l’en défendent, demeura fortement soupçonné d’avoir pris part à la conjuration, Il fut emprisonné ; sa complicité, apparente ou réelle, lui aurait peut-être coûté la vie, si le prestige de son nom ne l’eût mis à l’abri de tout danger. Les portes de sa prison s’ouvrirent ; on le rappela même à la Cour, et il se disposait à s’y rendre, quand la mort le surprit dans la soixante et unième année de son âge, l’an de notre ère 763.

Comment finit le poète favori de la nation chinoise ? Les biographes sont loin de s’accorder à ce sujet. Les uns le font mourir d’une rapide maladie, dans la maison de l’un de ses neveux appelé Yang-ping, qui habitait le Kiang-nan ; ils disent qu’il fut enterré sur le versant d’une montagne, près de la ville de Thang-tou. D’autres veulent qu’il ait péri victime de l’ivresse, cette passion dont il ne sut jamais se guérir : ils racontent qu’il traversait la province de Kiang-nan, par la voie des canaux et des rivières, lorsque ayant essayé de se tenir debout sur l’un des côtés de sa barque, après avoir bu plus que de raison, il ne fut pas assez ferme sur ses pieds, tomba dans l’eau et se noya. Cette dernière version paraît avoir inspiré la légende qu’a traduite M. Th. Pavie et qui s’exprime ainsi :

« La lune, cette nuit-là, brillait comme en plein jour ; Li-taï-pé soupait sur le fleuve, lorsque tout à coup, au sein des airs, retentit un concert de voix harmonieuses qui peu à peu s’approchèrent du bateau. Il s’éleva aussitôt un grand tourbillon au milieu des eaux : c’était des baleines qui se dressaient, en agitant leurs nageoires ; et deux jeunes immortels, portant à la main des étendards pour indiquer la route, arrivèrent en face de Li-taï-pé. Ils venaient, de la part du Maître des cieux, l’inviter à retourner prendre sa place dans les régions supérieures. Les gens de l’équipage virent le poète s’éloigner assis sur le dos d’une baleine ; les voix harmonieuses guidaient le cortège... bientôt tout disparut à la fois dans les nues [Contes et Nouvelles, traduits du chinois par Th. Pavie]. »

L’admiration des Chinois a été jusqu’à élever un temple à celui qu’ils appellent le Grand Docteur, le Prince de la poésie, l’Immortel qui aimait à boire.

Thou-fou, le seul rival de Li-taï-pé, le regardait lui-même comme son maître. Un lettré fameux, qui a commenté les œuvres complètes de ces deux hommes célèbres, termine pourtant ainsi son appréciation de leurs mérites respectifs : « Il ne faut point discuter sur la question de savoir lequel de Li-taï-pé ou de Thou-fou est supérieur à l’autre. Ils ont chacun leur manière. Quand deux aigles prennent leur essor vers les régions les plus élevées, et qu’ils volent chacun dans une direction différente, il serait impossible de dire lequel des deux s’est élevé le plus haut. »

n° 1.

A Nan-king

Toi qui vis tour à tour grandir et périr six royaumes 1,

Je veux, en buvant trois tasses, t’offrir aujourd’hui quelques vers.

Tes jardins sont moins grands que ceux du pays de Thsin2,

Mais tes collines sont belles, comme celles de Lo-yang3 au sol montagneux.

Ici fut la demeure antique du roi de Ou4. L’herbe fleurit en paix sur ses ruines.

Là, ce profond palais des Tsin5, somptueux jadis et redouté.

Tout cela est à jamais fini, tout s’écoule à la fois, les événements et les hommes,

Comme ces flots incessants du Yang-tseu-kiang, qui vont se perdre dans la mer6.

1. Nan-king fut successivement la capitale du royaume de Ou, et des dynasties des Tsin, des Soung, des Tsi, des Liang et des Tchin.

2. L’ancien pays de Thsin forme aujourd’hui le Chen-si.

3. Ville célèbre du Ho-nân, qui fut aussi la capitale de l’Empire, sous les derniers Tcheou ; aujourd’hui Khaï-foung-fou.

4. Le royaume de Ou, le premier qui ait eu Nan-king pour capitale, comprenait une partie du Kian-nân, et s’étendait aussi dans le Tché-kiang et le Kiang-si. Il fut conquis par le fondateur de la dynastie des Tsin, en 280.

5. Ne pas confondre la dynastie des Tsin, fondée par Vou-ti l’an 265 de notre ère, avec celle des Thsin, qui régnait au IIIe siècle av. J.-C., et à laquelle appartient le fameux Thsin-chi-hoang-ti, l’incendiaire des livres.

6. Le Yang-tseu-kiang, appelé par les Européens fleuve Bleu, est désigné par les Chinois sous le nom de Ta-kiang (Grand Fleuve), au-dessus de Nan-king, et sous celui de Yang-tseu-kiang (fleuve Fils de la mer), depuis Nan-king jusqu’à la mer.

n° 2.

Le brave1

Le brave de Tchao attache son casque avec une corde grossière ;

Mais son sabre, du pays de Ou, est poli comme la glace et brillant comme la neige ;

Une selle brodée d’argent étincelle sur son cheval blanc,

Et quand il passe, rapide comme le vent, on dirait une étoile qui file.

A dix pas il a déjà tué son homme ;

Cent lieues ne sauraient l’arrêter.

Après l’action, il secoue ses vêtements et le voilà reparti.

Quant à son nom, quant à ses traces, il en fait toujours un secret.

S’il a du loisir, il s’en va boire chez Sin-ling2 ;

Il détache son sabre et le met en travers sur ses genoux.

Le prince ne dédaignera ni de partager le repas de Tchu-haï 3,

Ni de remplir une tasse pour l’offrir à Heou-hing3.

Trois tasses bues pour une chose convenue, c’est un engagement irrévocable ;

Les cinq montagnes sacrées4 pèseraient moins que sa parole.

Quand ses oreilles s’échauffent, quand le vin commence à troubler sa vue,

Rien ne semble impossible à son humeur impétueuse ; il embrasserait un arc-en-ciel.

Un marteau lui suffit pour sauver un royaume5,

Le seul bruit de son nom inspire autant d’effroi que le tonnerre ;

Et, depuis mille automnes, deux de ces hommes forts6

Vivent toujours avec éclat dans la mémoire des habitants de Ta-leang7.

Les os d’un brave, quand il meurt, ont donc au moins le parfum de la renommée ;

N’est-ce point pour faire rougir tout homme d’élite qui ne s’adonne qu’à l’étude !

Qui pourrait acquérir un tel nom, la tête inclinée devant sa fenêtre,

En y blanchissant sur les livres comme l’auteur du Taï yun king8 ?

1. J’ai traduit les caractères Hiè-kè, littéralement intrépide voyageur, par le mot brave, faute d’une expression plus juste que je ne trouve pas en français. Le Hiè-kè tient à la fois du bravo et du condottiere, du chevalier errant et du chef de bandits. C’est un des types curieux de la Chine ancienne, dont on trouve de vigoureuses peintures dans la traduction que M. Pavie a donnée d’une grande partie du San-koué-tchi. On verra, par les notes ci-après et par la pièce suivante, qu’il peut être opulent ou misérable, enfant du peuple ou fils de roi.

2. Le prince de Sin-ling était le frère cadet d’un roi de Oey, qui vivait au me siècle de l’ère chrétienne. Il faisait grand cas des braves, et son histoire, rapportée par un commentateur des poésies de Li-taï-pé, nous fournira des éléments précieux pour apprécier ce que les Chinois entendaient par ce mot.

Un vieillard de grand mérite et de grand talent, nommé Heou-hing, était devenu concierge de l’une des portes de la ville, où il se faisait oublier (notons en passant que ces hommes d’élite qui se cachent pour ne pas être employés, préférant un obscur gagne-pain aux tracas et aux incertitudes de la vie publique, sont encore un des types curieux et très fréquents de la société chinoise). Heou-hing se cachait donc ; Sin-ling en fut informé et lui fit des offres considérables, mais le vieillard ne voulut rien écouter ; alors le prince, qui tenait du moins à l’avoir à sa table, alla le chercher lui-même et le mit à la place d’honneur, au grand étonnement des autres convives. Puis il lui demanda s’il connaissait quelque sage, quelqu’un de ces hommes sur lesquels on pouvait compter : « J’en connais un, dit Heou-hing ; c’est mon voisin, le boucher Tchu-haï. » Et le prince, quelques jours après, ne manqua pas d’aller lui-même à la demeure de cet homme d’élite. Ne l’ayant point rencontré, il y retourna deux fois, mais sans plus de succès ; Tchu-haï ne lui rendit pas même sa visite. Nous verrons plus loin comment il s’en excusa.

La Chine était alors divisée en plusieurs royaumes qui cherchaient mutuellement à s’absorber, et celui de Tsin, plus envahissant que tous les autres, était sur le point de conquérir celui de Tchao. Le roi de Tchao implora l’assistance du roi de Oey, qui envoya tout d’abord cent mille hommes à son secours ; mais, se laissant bientôt intimider par les menaces du conquérant, il donna l’ordre à son général de garder la défensive, et de ne point se porter en avant. En vain le prince de Sin-ling représentait-il à son frère combien il était dangereux et impolitique de laisser grandir la puissance de Tsin ; le roi de Oey persistait dans ce parti de l’inaction. « Que faire ? demande Sin-ling à son vieux conseiller. --- Il faut, dit Heou-hing, dérober le sceau du roi, fabriquer un ordre qui vous donne le commandement de l’armée, et partir sur-le-champ pour diriger vous-même le mouvement. --- Mais comment dérober le sceau qui est toujours aux côtés de mon frère ? --- Rien de plus simple ; le roi a pour favori un jeune homme qui n’a pu venger encore la mort de son père ; nous allons envoyer un brave chercher la tête du meurtrier, et le fils reconnaissant ne pourra refuser le service qu’on lui demande. » Les choses se passent exactement comme on l’avait calculé, et voilà déjà, grâce au secours d’un brave, le prince de Sin-ling en possession d’un premier moyen d’action. « Mais, objecte encore le prince, si le général, se méfiant de quelque chose, allait refuser de m’obéir ? --- En ce cas, réplique Heou-hing, ce serait le cas de faire usage de mon voisin Tchu-haï ; je vais vous le chercher à l’instant. » Arrive Tchu-haï, le sourire à la bouche : « Prince, dit-il, vous êtes venu jadis pour me voir, et n’étant point un homme à faire des cérémonies, j’ai jugé inopportun de vous rendre votre visite ; aujourd’hui qu’il est question d’agir, je suis à vous, et me voici. --- Partez donc maintenant, dit Heou-hing ; tout est bien combiné ; l’entreprise ne peut manquer de réussir. »

En effet, tout se passe à merveille. Le prince de Sin-ling montre au général le sceau de son frère ; le général hésite, comme on le prévoyait, il parle d’expédier d’abord un courrier ; mais Tchu-haï accompagne le prince ; c’est un homme très fort et, nous le savons, très déterminé ; il tire de sa manche un marteau du poids de quarante livres, et il assomme le général d’un seul coup. « Ce général était un rebelle, dit alors le prince aux officiers qui accourent en tumulte ; il refusait d’obéir aux ordres du roi. » Et prenant lui-même le commandement de l’armée, il remporte une victoire complète sur l’ennemi commun.

3. Voir la note précédente.

4. Voir la note 6 de la pièce suivante.

5. Voir la note 2 ci-dessus.

6. Sin-ling et Tchu-haï.

7. L’ancienne capitale du royaume de Oey.

8. Le Taï yun king est un ouvrage d’érudition dont l’auteur, Yang-hiong, était célèbre par son opiniâtreté au travail. Il avait les cheveux blancs qu’il étudiait encore tout le jour devant sa fenêtre, derrière un rideau tiré. Beaucoup de gens n’avaient jamais vu sa figure. Li-taï-pé, qui le prend pour type du lettré studieux, dirige souvent contre lui des allusions moqueuses, et notamment à la fin de la pièce : A cheval ! à cheval et en chasse ! que je donne plus loin.

n° 3.

En bateau

Un bateau de cha-tang1 avec des rames de mou-lan2 ;

De jeunes musiciennes sur les bancs, avec des flûtes d’or et de jade3 ;

Du vin exquis dans des coupes mille fois remplies ;

Emmener avec soi le plaisir, et se laisser porter par les flots.

Les immortels m’attendent, montés sur leurs cigognes jaunes 4,

Tandis qu’insouciant et tranquille, je vogue au milieu des mouettes blanches.

Les sublimes inspirations de Kio-ping5 nous restent comme un monument qui s’élève à la hauteur des astres ;

Que sont devenus les tours et les pavillons du roi de Tsou, jadis accumulés sur ces collines désertes !

Quand l’ivresse m’exalte, j’abaisse mon pinceau, j’ébranle de mes chants les cinq montagnes sacrées6,

Je suis joyeux et je suis fier, je me ris de toutes les grandeurs.

Puissance, richesse, honneurs, quand vous serez d’assez longue durée pour que je vous estime,

On verra donc le fleuve Jaune partir de l’Occident pour couler vers le Nord.

1. Bois très léger.

2. Bois très dur.

3. Expression qui ne doit se prendre qu’au figuré, et pour indiquer le talent de celles qui jouent de cet instrument, comme on dirait en français, pour parler d’un écrivain de talent, une plume d’or.

4. Les personnages de la mythologie tao-sse qui ont obtenu l’immortalité voyagent dans les airs, montés sur des cigognes jaunes.

5. Kio-ping est un des surnoms du poète Kiu-yuen, auteur du Li-sao, poème très célèbre en Chine. Son histoire est rapportée plus haut, pp. 30-31.

6. Les cinq montagnes sacrées, Ou yo, sont les cinq grandes montagnes sur lesquelles, dès la plus haute Antiquité, le souverain de la Chine offrait des sacrifices au maître du ciel, au nom du peuple entier dont il est considéré comme étant le père.

Ces montagnes, qui ne furent originairement qu’au nombre de quatre, avaient été choisies de manière à figurer, par leurs situations respectives, les quatre parties du monde connu des anciens Chinois. Au nord, c’était le Heng-chan, dans le Chan-si actuel ; au midi, une autre montagne du Hou-kouang, dont le nom se prononce de même, mais s’écrit différemment ; et à l’orient le Taï-chan, la plus célèbre de toutes, située dans le Chan-tong ; et à l’occident le Hoa-chan, dans le Chen-si. Les Tcheou, au XIIe siècle avant notre ère, portèrent à cinq le nombre des montagnes sacrées, en prenant le Soung-chan, dans le Hou-kouang, pour représenter le milieu de la terre.

L’expression ébranler les cinq montagnes signifie donc, comme on le voit, faire grand bruit dans le monde entier.

n° 4.

En face du vin

Song-tseu s’est transformé sur le Kin-hoa1 ;

Ngan-ki a pénétré jusqu’au Pong-laï 2 ;

Ces personnages obtinrent l’immortalité dans l’âge antique,

Ils ont pris leur essor, soit ; mais enfin où sont-ils ?

La vie est comme un éclair fugitif ;

Son éclat dure à peine le temps d’être aperçu.

Si le ciel et la terre sont immuables,

Que le changement est rapide sur le visage de chacun de nous !

O vous, qui êtes en face du vin et qui hésitez à boire,

Pour prendre le plaisir, dites-moi, je vous prie, qui vous attendez ?

1. Song-tseu était un bouddhiste, que la mythologie chinoise place au nombre des immortels. Il se brûla lui-même sur le mont Kin-hoa afin d’obtenir plus vite sa transformation ; c’est-à-dire le passage de cette vie à une autre.

2. Ngan-ki, au contraire, devint immortel sans changer de corps. C’était un vieillard qui herborisait dans les montagnes et vendait ensuite des remèdes et des élixirs aux habitants des bords de la mer. Il y avait déjà plus de mille ans que les hommes du pays de Loung-nié, qui, de génération en génération, avaient appris à le connaître, le voyaient apparaître de temps à autre, quand Thsin-chi-hoang-ti voulut aussi le voir. L’empereur s’entretint avec lui durant trois jours et trois nuits, et fut si frappé de la netteté avec laquelle il lui parlait des siècles passés, en lui racontant les choses les plus curieuses, qu’il ne se lassait point de l’entendre et qu’il lui offrit de très riches présents. L’immortel les accepta, mais on les retrouva tous ensuite à une grande distance ; il les avait abandonnés. De son côté, il avait offert à l’empereur une paire de pantoufles en jade rouge, en lui promettant que, dans quelque mille années, ils se reverraient au Pong-laï, montagne imaginaire, sorte d’Olympe situé au milieu des mers, où la mythologie chinoise place la patrie des immortels.

n° 5.

La chanson des quatre saisons

Dans le pays de Thsin, la charmante Lo-foh1

Cueillait des feuilles de mûrier, aux bords d’une eau transparente,

Ses blanches mains posées sur les branches vertes,

Son teint resplendissant illuminé par un beau soleil.

Elle disait : Les vers à soie ont faim, le soin de les nourrir m’appelle ;

Il ne faut pas, seigneur, que vos cinq chevaux piétinent plus longtemps ici.

Sur le lac King-hou2 qui a trois cents li3 de tour,

Quand les fleurs du nénuphar s’épanouissent,

On est alors au cinquième mois, et les jeunes filles vont les cueillir.

Si nombreux sont les spectateurs que la rive en paraît étroite.

Les bateaux n’attendent plus la lune, pour les guider à leur retour ;

Ils s’en reviennent en plein jour au palais du roi de Youe4.

La lune ne jette qu’une lueur incertaine,

Les coups mille fois répétés, que frappe le battoir des laveuses5,

Se mêlent au gémissement du vent d’automne.

Cette triste harmonie s’accorde avec de tristes pensées.

Hélas ! quand donc aura-t-on pacifié les barbares !

Quand donc l’époux bien-aimé cessera-t-il de combattre au loin !

Un courrier part demain de grand matin pour la frontière ;

La nuit se passe à doubler chaudement des habits.

De jolis doigts ont pris bravement l’aiguille glacée ;

Mais ces ciseaux plus froids encore, que de courage pour les saisir !

Enfin tout est taillé, tout est cousu ; l’ouvrage est confié au courrier qui s’éloigne.

Combien de jours lui faudra-t-il pour arriver à Lin-tao 6 ?

1. Lo-foh est l’héroïne d’une historiette populaire à la Chine, à peu près comme celle du Petit Chaperon rouge chez nous. La voici racontée par une vieille chanson déjà très ancienne du temps de Li-taï-pé, et dans laquelle on trouvera peut-être cette simplicité naïve dont l’époque des Thang était déjà loin :

Dès que les premiers rayons du soleil se montrent à l’horizon,

Ils illuminent notre maison, notre maison du pays de Thsin.

Au pays de Thsin il est une jolie fille,

Qui de son nom s’appelle Lo-foh.

Lo-foh soigne très bien les vers à soie ;

Elle va cueillir des feuilles de mûrier au midi de la ville ;

Son panier est supporté par une tresse de soie bleue,

Et le crochet pour le suspendre est fait de bois de cannelier.

Ses cheveux s’enroulent en épais bandeaux, à la mode japonaise ;

Aux oreilles elle a deux perles, rondes et brillantes comme la lune ;

D’un jaune pâle est sa robe longue,

Et sa robe courte est rose foncé.

Le gouverneur revenait à la ville par le chemin du midi ;

Il arrête ses cinq chevaux en les faisant piaffer,

Et il envoie l’un de ses officiers

Demander à cette jolie fille qui elle est.

(Lo-foh répond :) Au pays de Thsin il est une jolie fille,

Qui de son nom s’appelle Lo-foh.

Le gouverneur demande ensuite :

Et combien d’années a Lo-foh ?

--- Lo-foh n’a pas accompli vingt années ;

Mais elle a plus de quinze ans passés.

Le gouverneur s’excuse, puis il demande encore :

Vous plairait-il monter avec moi dans ce char ?

La jolie fille s’incline pour répondre,

(Et dit :) Quel propos me tient là le gouverneur ?

Le gouverneur a sa femme,

Et Lo-foh a son fiancé.

Cette aventure de Lo-foh inspira du reste plus d’une chanson du même genre. L’empereur Leang-vou-ti lui-même en avait fait une, où se trouvent deux vers que Li-taï-pé paraît avoir recueillis :

Seigneur, emmenez vos chevaux, ils paraissent déjà bien las ;

Votre humble servante se retire, car les vers à soie ont faim.

2. Le lac King-hou, c’est-à-dire dont les eaux ressemblent à un miroir, est situé au nord de la province actuelle du Tché-kiang, tout près de la ville de Chao-hing. Il est alimenté par la rivière de Jo-yeh, l’un des affluents du fleuve Tsien-tang. Il fut creusé, disent les Annales chinoises, durant les années young-ho de l’empereur Chun-ti des Han (de l’an 136 à l’an 142 de notre ère) par les ordres d’un gouverneur de la province, nommé Ma-tsouï, afin que les campagnes environnantes n’eussent plus à souffrir de la sécheresse, dans les étés brûlants, et qu’on n’y vît plus d’années mauvaises. Ma-tsouï lui donna douze pieds de profondeur et le fit entourer d’un mur épais, garni de vannes puissantes, qui se refermaient d’elles-mêmes dès que le niveau de la rivière s’abaissait. Les masses d’eau qui s’écoulaient lorsqu’on ouvrait les écluses étaient ménagées de manière à irriguer une immense étendue de terrain.

3. La circonférence du lac est de trois cent dix li. Le li équivaut à peu près à un dixième de lieue ancienne, de vingt lieues au degré. C’est donc trente et une lieues. Une telle dimension serait incompatible avec la tranquillité que son nom indique, s’il n’avait une forme des plus capricieuses et des plus allongées, d’où il, résulte que sa largeur ne dépasse guère deux lieues sur aucun point.

Les nénuphars y poussaient en abondance, et l’époque de leur floraison était, comme on le voit, l’occasion d’une véritable fête, où les jeunes filles faisaient de grands frais de toilette et de coquetterie, et où l’affluence était énorme. Il en est souvent question dans les poésies chinoises.

4. Le lac King-hou faisait partie autrefois du royaume de Youe, dont le roi, grand amateur de belles personnes, possédait notamment la fameuse Si-chy, l’une des beautés les plus célèbres de la Chine, et Si-chy aimait à se promener souvent sur le lac. En disant métaphoriquement que les bateaux rentrent au palais du roi de Youe, le poète donne à entendre que ces bateaux ne portent que de belles jeunes filles, et il établit même ainsi un rapprochement très galant pour les promeneuses contemporaines. C’est là un de ces artifices littéraires qui sont très goûtés des Chinois, mais qui parfois aussi rendent très difficile l’intelligence de leurs poésies.

5. C’est la nuit, quand il fait clair de lune, que les femmes chinoises se rassemblent surtout au lavoir public.

6. Ville frontière du pays des Tou-fan, contre lesquels les Chinois eurent souvent à lutter.

Voir le texte chinois et la traduction anglaise de Bynner : Tangshi 39, 40, 41, 42.

n° 6.

Sur les bords du Jo-yeh1

Sur les bords du Jo-yeh, les jeunes filles cueillent la fleur du nénuphar.

Des touffes de fleurs et de feuilles les séparent2 ; elles rient et, sans se voir, échangent de gais propos :

Un brillant soleil reflète au fond de l’eau leurs coquettes parures ;

Le vent, qui se parfume dans leurs manches, en soulève le tissu léger.

Mais quels sont ces beaux jeunes gens qui se promènent sur la rive ?

Trois par trois, cinq par cinq, ils apparaissent entre les saules pleureurs.

Tout à coup le cheval de l’un d’eux hennit et s’éloigne, en foulant aux pieds les fleurs tombées.

Ce que voyant, l’une des jeunes filles semble interdite, se trouble, et laisse percer l’agitation de son cœur.

1. Rivière du Tche-kiang, qui alimente le lac King-hou. Voir la note 2 de la pièce précédente.

2. Les jeunes filles sont en bateau.

n° 7.

Le retour des beaux jours1

Dans cet immense palais, dont les pavillons percent l’azur du ciel,

Dont les colonnes étincelantes sont entourées de dragons d'or,

Derrière les stores qui se soulèvent, de belles jeunes filles, fêtant le beau soleil,

Font parler sous leurs mains délicates l’harmonie des cordes et des pierres sonores2.

L’air qu’elles jouent, le souffle du printemps le porte aux oreilles du prince,

Cet air, c’est celui de la chanson Hâtons-nous de jouir 3.

On sort, on s’embarque sur le grand lac, pour aller visiter ses îles verdoyantes4 ;

L’eau monte et jaillit à la proue des barques rapides, couvertes de tentes aux brillantes couleurs.

Trois mille jeunes filles, d’une beauté parfaite, offrent le tribut de leurs jeux et de leurs rires5,

Elles frappent des cloches ; elles battent le tambour ;

Elles font un bruit à croire que le palais s’écroule.

Le peuple aussi se réjouit au-dehors ; il danse, il chante l’hymne de la paix.

Le maître contemple son ouvrage :

Le calme et le bonheur de tous6.

Les trente-six empereurs immortels viennent au-devant de lui pour l’inviter à les rejoindre7.

Ils voltigent çà et là dans l'air, en abaissant leurs chars de nuées.

Mais l’empereur ne nous abandonne pas,

Il ne quitte point son heureuse capitale8.

Voudrait-il, comme Hoang-ti,

Partir sans nous pour les demeures célestes9 !

Moi, son humble sujet, je lui crie : Vivez aussi longtemps que le (mont) Nan-chan !

Et vive à jamais la renommée de votre grand nom !

1. Cette pièce fut composée par Li-taï-pé durant la première période du règne de l’empereur Ming-hoang-ti, appelé aussi Hiouan-tsoung. Ce règne, si paisible au début, fut traversé plus tard par de terribles événements dont les poésies de Thou-fou nous offriront plus loin la peinture.

2. Indépendamment des instruments à cordes et à vent, les Chinois font usage, depuis l’Antiquité, d’instruments de musique composés de pierres sonores de dimensions graduées. Elles sont suspendues et rendent, quand on les frappe, un son ayant de l’analogie avec celui de l’harmonica, mais plus fort et plus nourri, surtout dans les notes basses.

3. Cette chanson fut composée à l’époque des trois royaumes, c’est-à-dire au IIIe siècle de notre ère, par un frère du roi de Oey. Elle est tout en l’honneur de la maxime célèbre fruere presenti. Le nom sous lequel on la désigne dans le texte chinois ne pouvant mettre sur la voie des idées qu’elle éveille, j'ai cru devoir le modifier pour l’intelligence du sens général.

4. Le texte dit littéralement : visiter Pong et Yng. Pong et Yng étaient les noms de deux îles situées au milieu du lac de la résidence impériale, noms qu’on leur avait donnés comme étant ceux de deux montagnes célèbres pour leurs sites pittoresques et leur belle végétation.

5. On s'étonnera peut-être, au premier abord, de ces trois mille jeunes filles des appartements intérieurs. On aurait tort cependant de voir là une amplification poétique, et plusieurs empereurs chinois poussèrent ce faste bien plus loin. On lit par exemple dans le Sse-ki que le fondateur de la dynastie des Thsin ayant vaincu le roi de Ou, et s’étant emparé de son palais, y choisit cinq mille femmes qu’il envoya dans sa propre résidence de Tchang-ngan.

6. Littéralement : (l’empereur se dit) moi demeurant dans l’inaction, les hommes sont dans le repos --- ngo vou goeï, jin tseu ting ---, ces expressions se rattachent à la doctrine de Lao-tseu, qui place la vertu dans l’inaction et le bonheur dans le repos. L’empereur, demeurant dans l’inaction, ne fait naturellement aucune expédition lointaine, et le peuple jouit d’un repos qui est pour lui le bonheur. Il m’a semblé, pour rendre ici la pensée, devoir m’écarter un peu du sens littéral qui pouvait présenter de l’obscurité.

7. Au temps de Li-taï-pé, la mythologie des Tao-sse admettait déjà que trente-six empereurs avaient trouvé le secret de l’immortalité.

8. Le texte dit : il ne quitte point Kao-king. Kao-king était l’ancien nom de Lo-yang, comme Lutèce le fut de Paris, et Byzance de Constantinople. En désignant ainsi, par un ancien nom, la capitale de l’Empire, le poète prépare l’allusion qui va suivre. De plus, dans les idées chinoises, qui prennent toujours l’Antiquité comme type de toute perfection, cette dénomination entraîne tacitement avec elle une nuance louangeuse que je crois pouvoir rendre en ajoutant le mot heureuse dans la traduction.

9. Hoang-ti est le premier souverain de la Chine dont le règne appartienne aux temps historiques. On trouve dans le Sse-ki (Annales de l’Empire) la légende de cet empereur qui cherchait la pierre philosophale deux mille six cents ans avant l’ère chrétienne, non comme une source inépuisable de richesses, mais comme un talisman pour obtenir l’immortalité. « Hoang-ti, dit la chronique chinoise, avait fait fondre sur le mont Kin-chan neuf trépieds de bronze, où il soumettait à l’action du feu quantité de sable rouge ; un jour ce sable rouge se convertit en or. Alors un dragon descendit du ciel, et l’empereur étant monté sur son dos avec les principaux officiers et plusieurs de ses favorites, le dragon reprit son essor vers les demeures célestes. »

Un commentateur ajoute : « Parmi les choses que l’on brûle comme offrande aux esprits, il faut compter en premier lieu le sable rouge (tan cha ; le cinabre, suivant les dictionnaires de de Guignes, de Medhurst et de Morrison). Il peut arriver que ce sable rouge se transforme en or très pur. En ce cas, avec cet or très pur, si l’on fabrique un vase pour boire et que l’on s’en serve, on obtient d’abord la longévité. Quand on a obtenu la longévité, on peut voir les immortels ; et quand on a vu des immortels, en sacrifiant à l’esprit de la terre, on obtient soi-même l’immortalité. Ce fut là précisément ce qui advint à Hoang-ti. »

Dans une autre pièce, intitulée le Vol du dragon, Li-taï-pé a décrit lui-même ce départ pour les demeures célestes du premier des empereurs immortels. Il raconte la transmutation du sable rouge en or, l’arrivée du dragon ; il peint la joie des femmes du palais « qui battent des mains en se voyant monter vers les nuages rouges, semblables à des fleurs que le vent emporte ». La légende parle aussi du désespoir des humbles serviteurs (siao tchîn, mot à mot : les petits officiers), qui ne peuvent accompagner leur souverain.

En employant pour se désigner lui-même, dans le vers suivant : Moi, votre humble sujet, etc., la même expression siao tchîn, dont se sert la légende, le poète termine ici par un trait d’autant plus délicat aux yeux de ses compatriotes que la flatterie de ce dernier rapprochement doit ressortir d’elle-même, dans l’esprit de tout lettré possédant bien ses auteurs.

n° 8.

Strophes improvisées1

I

(Voit-il) des nuages, (il) pense à (sa) robe ; (voit-il) des fleurs, (il) pense à (son) visage2.

Le vent du printemps souffle sur la balustrade embaumée ; la rosée s’y forme abondamment3.

Quand ce n’est pas au sommet du Yu-chan (qu’il l’) aperçoit,

C’est dans la tour Yao-taï (qu’il la) retrouve, sous les rayons de la lune4.

II

Une branche, toute chargée de fleurs, acquiert un parfum plus suave encore sous l’influence de la rosée.

La fée des nuages et de la pluie ne saurait éveiller ici des regrets5.

Eh ! je vous le demande, quel souvenir évoquer dans ce palais qui puisse entrer en parallèle ?

La séduisante Fey-yen, peut-être, mais encore après qu’elle eut changé d’habits6.

III

La plus célèbre des fleurs7 et la plus enchanteresse des femmes8 s’unissent pour charmer les regards ;

Elles font qu’un sourire joyeux ne s’efface jamais sur un visage auguste.

Si le printemps s’écoule et s’en va, que (lui) importe ?

Appuyée, du côté du nord, sur la balustrade aux douces senteurs9.

1. Cette pièce était du nombre de celles que j’avais renoncé à traduire, dans l’impossibilité où je me sentais de leur conserver leur mérite spécial, essentiellement inhérent aux ressources particulières de la langue dans laquelle elles ont été composées ; mais comme je me proposais, d’un autre côté, de chercher à donner du moins une idée de ce genre de mérite très goûté par les Chinois, il m’a paru que celle-ci, en l’analysant avec soin, serait tout à fait propre à servir de spécimen.

Remarquons d’abord la note qui précède cette pièce dans le texte original :

« Durant les années Tien-pao, du règne de Ming-hoang (de 742 à 756 de notre ère), l’empereur se trouvait un soir dans un pavillon, sur le bord d’une pièce d’eau de sa résidence, avec sa favorite Taï-tsun qui contemplait la beauté des pivoines en fleur. L’empereur appelant Li-kouaï-nien, un de ses ministres, lui ordonna de prendre trois feuilles de papier à fleurs d’or et de les présenter à Li-taï-pé, lequel offrit presque aussitôt ces trois pièces. Kouaï-nien les chanta, tandis que l’empereur lui-même l’accompagnait sur une flûte de jade. La favorite souriait, comprenant la chanson. »

On sait déjà que le poète a dû jeter, à dessein, un certain vague dans ses trois pièces. On verra, par les notes qui suivent, quelles ressources sa langue lui offrait pour cela.

2. En exposant, au commencement de ce volume, les principes généraux de la prosodie chinoise, j’ai eu l’occasion de montrer comment les verbes, les substantifs, les adjectifs étaient invariables dans leur forme écrite, comment les pronoms, les conjonctions étaient souvent sous-entendus, certaines règles de position et de construction déterminant à elles seules la valeur relative de chaque mot. Pour faire saisir le caractère particulier de cette pièce, j’ai placé entre parenthèses les liaisons que réclame la construction française, mais je n’ai pu éviter toutefois de donner aux adjectifs comme aux verbes des désinences rendant les allusions plus transparentes encore que dans le texte original.

3. Le vent du printemps est, on l’a vu, synonyme de pensées d’amour ; la rosée indique ici la faveur du prince, et l’on sait déjà que la favorite est comparée aux fleurs.

4. Le mont Yu-chan et la tour Yao-taï étaient des lieux célèbres habités par les immortels. Le poète désigne, en réalité, les jardins et le pavillon au bord du lac de la résidence impériale. Son langage figuré comporte ici une double flatterie que l’on saisit aisément. Si l’empereur voit des nuages qui se meuvent légèrement, il songe aux mouvements gracieux de la favorite ; s’il voit des fleurs, elles lui rappellent aussitôt son visage. Il la voit donc en tout, partout, et constamment.

5. Littéralement : Les nuages et la pluie du Yu-chan ne sauraient inspirer des regrets.

C’est une allusion au trait semi-historique que voici : un des anciens souverains de la Chine, Siang-ouang, s’étant endormi dans le mont Yu-chan, aperçut, en songe, une femme d’une beauté surnaturelle à laquelle il demanda quand il pourrait la revoir. « Me revoir serait impossible, lui dit-elle, le matin je gouverne les nuages et le soir je dirige la pluie. » Siang-ouang songea longtemps à cette fée charmante, non sans un vif regret de ne pouvoir la retrouver. Plus heureux, l’empereur Ming-hoang possède à toute heure la belle Taï-tsun.

6. Fey-yen, l’une des beautés les plus fameuses de la Chine, était de la plus humble extraction. Elle appartint d’abord à un homme riche qui lui avait fait apprendre le chant et la danse pour s’en divertir. L’empereur Han-vou-ti, voyageant incognito, la vit danser sur une terrasse et la trouva si séduisante qu’il l’emmena dans son palais, et que, non content de la posséder, il l’éleva bientôt au rang d’impératrice. Par la façon dont le vers est construit, Li-taï-pé laisse entendre que Taï-tsun, aussi séduisante que Fey-yen, le serait davantage encore sous les habits impériaux. L’insinuation toute naturelle que cette flatterie entraîne montre assez que Li-taï-pé savait faire doublement sa cour.

7. Le commentaire prévient que l’on désigne ainsi la fleur appelée en chinois mo-cho-yo ; pivoine-arbre. C’est le pœonia-mou-tan des botanistes, connu dans les jardins de la Chine depuis 1400 ans ; introduit en Europe en 1789. Le commentaire chinois ajoute que cette fleur est, le matin, d’un bleu transparent, jaune dans le courant de la journée, et bleuâtre enfin durant la nuit ; mais de savants botanistes, à qui j’ai soumis ce passage, m’ont assuré que le commentaire était ici plus poétique que digne de foi.

8. King-kouè, littéralement : (celle qui) renverserait un royaume, expression acquise au langage poétique et dont l’étymologie remonte à l’histoire d’une beauté sans rivale du temps des Han, laquelle faisait dire d’elle : d’un premier regard elle renverserait une ville ; d’un second, elle renverserait un royaume. Li-taï-pé ne croyait se servir ici que d’une expression poétique : la fin tragique de l’infortunée Taï-tsun, dont on verra plus loin le récit, dans la pièce intitulée Ma-toui, fit voir qu’elle n’avait malheureusement rien d’exagéré.

9. Pour les Chinois qui ne se réunissent guère aux flambeaux, et surtout pour les Chinoises qui sortent rarement de leurs jardins, le printemps et l’été ont toujours été synonymes de plaisir et de joie, comme automne et hiver de tristesse, d’ennui et d’abandon. Il est donc naturel que le départ du printemps soit l’objet d’un chagrin mêlé d’inquiétude ; mais pour celle qui possédait l’amour exclusif du maître, pour celle dont il était constamment occupé, pour celle, en un mot, qui était appuyée sur la balustrade aux douces senteurs, tous les jours n’étaient-ils point de beaux jours ? que lui importait qu’ils fussent d’hiver ou de printemps ?

Le poète est arrivé à son dernier vers, sans laisser échapper une expression qui puisse déchirer à jour le voile transparent jeté par lui sur cette composition improvisée. Mais le dernier vers contient un caractère très significatif, de la galanterie la plus recherchée, et d’autant plus précieux au point de vue chinois qu’il faut, pour en saisir le trait, s’être bien rendu compte d’une expression employée par l’auteur quelques vers plus haut, et prouver qu’on connaît ses textes autant qu’on en sait faire l’application. Ce caractère, c’est le caractère , nord. Dans la note précédente, j’ai dit l’origine de l’expression king-kouè (qui renverserait un royaume). Or, dans le livre classique d’où cette histoire est tirée, le récit commence précisément par ces mots : Du côté du nord, il est une belle personne, etc. Voilà donc la liaison et, pour ainsi dire, la solidarité établies entre celle qui renverserait un royaume, et celle qui était appuyée sur la balustrade. L’allusion n’est plus douteuse. Aussi la favorite souriait-elle, ayant compris la chanson.

Voir le texte chinois et la traduction anglaise de Bynner : Tangshi 317, 318, 319.

n° 9.

Le palais de Tchao-yang1

La neige ne charge plus les branches de l’abricotier ;

Le souffle du printemps renaît parmi les rameaux du saule.

Les chants amoureux de l’oiseau yng2 portent l’ivresse dans les sens ;

L’hirondelle est de retour et voltige au bord des toits, en poussant son petit cri.

C’est le temps des longs jours, c’est le temps où le soleil éclaire la natte des joyeux convives ;

C’est le temps où fleurs nouvellement écloses et danseuses élégamment parées se font valoir mutuellement.

Quand vient le soir on éloigne les gardes aux brillantes cuirasses,

Et les plaisirs de toute sorte se prolongent bien avant dans la nuit.

Un vent tiède et parfumé pénètre au plus profond du palais,

Où les stores blanchissent de grand matin, sous les gais rayons de l’aurore.

Les fleurs du palais rivalisent d’éclat en souriant au soleil ;

Tandis que le printemps reçoit des plantes aquatiques le mystérieux hommage de leur développement,

Dans les arbres verdoyants, on entend gazouiller les petits oiseaux ;

Dans le pavillon de couleur d’azur, on voit danser les femmes du souverain ;

Au mois où fleurissent les pêchers et les pruniers des jardins de Tchao-yang,

Sous les rideaux de soie brodée, on ne songe qu’à s’enivrer d’amour.

Feuillage délicat du saule pleureur, on vous prendrait pour de l’or fin ;

Blanche floraison du poirier, vous semblez une neige odorante.

Si l’hirondelle a fait son nid au faîte du pavillon de jade,

Sous les serrures de cette merveilleuse demeure, sont abrités d’illustres amants.

Les plus belles filles sont choisies pour suivre à la promenade le char impérial.

Elles sortent en chantant du fond des appartements secrets.

Mais enfin, dans ce palais, qui donc occupe la première place ?

Fey-yen ! C’est elle qui règne à Tchao-yang.

1. Le palais de Tchao-yang avait été la résidence de l’empereur Vou-ti et de la belle Fey-yen (voir la note 6 de la pièce précédente) ; mais il est à supposer, que, dans ce cadre de plusieurs siècles antérieur à son époque, c’était une peinture contemporaine que traçait le poète, poursuivant du reste le rapprochement esquissé dans la pièce qui précède.

2. Suivant Bridgman, le mango-bird.

n° 10.

Un jour de printemps,
le poète exprime ses sentiments au sortir de l’ivresse

Si la vie est comme un grand songe,

A quoi bon tourmenter son existence !

Pour moi je m’enivre tout le jour,

Et quand je viens à chanceler, je m’endors au pied des premières colonnes1.

A mon réveil je jette les yeux devant moi :

Un oiseau chante au milieu des fleurs ;

Je lui demande à quelle époque de l’année nous sommes.

Il me répond : A l’époque où le souffle du printemps fait chanter l’oiseau.

Je me sens ému et prêt à soupirer,

Mais je me verse encore à boire ;

Je chante à haute voix jusqu’à ce que la lune brille,

Et à l’heure où finissent mes chants, j’ai de nouveau perdu le sentiment de ce qui m’entoure.

1. Les maisons chinoises ont presque toutes, à leur entrée, une sorte de vestibule abrité, mais non fermé, qui ressemble assez aux galeries extérieures des chalets suisses. Le pied des premières colonnes, c’est donc à peu près le seuil de la porte.

n° 11.

Sur la Chanson des têtes blanches1

Sur les flots ondulés que le fleuve Kin roule vers le nord-est,

Voyez nager côte à côte l’oiseau youèn et l’oiseau yang2.

Si le mâle s’arrête à l’ombre des arbres qui bordent la rive,

Sa compagne se joue près de lui, parmi les roseaux en fleur 3.

Tous deux souffriraient mille morts et laisseraient déchirer leurs ailes délicates,

Plutôt que de fuir vers les nuages, si, pour fuir, il fallait se séparer.

Alors que la belle Ngo-kiao4, dévorée par les regrets et la jalousie,

Seule au palais de Tchang-mên, où son chagrin redoublait chaque soir au coucher du soleil.

Tout entière au désir ardent de ramener vers elle les pensées du maître,

Achetait à prix d’or les vers d’un poète, interprète éloquent de ses sentiments ;

Qui s’en serait étonné ! Mais l’inconstance est dans le cœur des hommes ;

Ce poète ne devait ses inspirations qu’à la soif de l’or.

Il envoyait lui-même des présents de noce aux filles de Mo-ling5,

Et recevait de Ouèn-kiun la Chanson des têtes blanches.

Le flot qui s’est écoulé (disait-elle) ne peut revenir à la source,

La fleur détachée de sa tige ne saurait retourner à l’arbre qui l’a laissée tomber.

Les plantes, certes, sont insensibles,

Voyez pourtant celles dont la nature est de s’attacher :

L’une se fixe où le vent la porte,

L’autre périt quand on l’arrache à l’appui qu’elle avait enlacé.

Les plantes même ont donc un instinct,

Qui vaut mieux que celui des hommes.

Ne roulez point ma natte de loung-su6 !

Laissez les araignées y tendre leurs fils :

Laissez aussi mon oreiller d’ambre fin ;

Peut-être y ferez-vous des songes qui vous rappelleront le temps passé.

Une fois l’eau répandue, qui pourrait la recueillir et remplir de nouveau la tasse !

La femme délaissée, une fois partie, il n’est pas moins difficile de la ramener.

Mais où trouver, depuis l’Antiquité, un exemple de prospérité sans ingratitude ?

Jusqu’à ce jour, je ne vois guère que celui de la tour Tsing-lo7.

Sur les flots transparents que le fleuve Kin roule vers le nord-est,

Voyez nager côte à côte l’oiseau youèn et l’oiseau yang,

Si le mâle s’arrête à l’ombre des arbres qui bordent la rive,

Sa compagne se joue près de lui, parmi les roseaux en fleur.

Appelé à de hautes fonctions, Siang-ju a quitté sa province,

Monté sur un char rouge, que traînent quatre chevaux brillants8.

Sa réputation a grandi rapidement à la cour9,

L’empereur lui-même s’est montré ravi de son talent.

Enfin, j’ai ouï dire que Ngo-kiao, recourant à lui dans sa disgrâce,

A payé dix mille pièces d’or la faveur qu’elle a ressaisie.

Siang-ju ne se rappelle plus les jours où il était humble et pauvre encore,

Fier de sa charge et de ses richesses, il ne pense qu’à se remarier.

Il veut choisir maintenant entre toutes les filles de Mo-ling ;

L’amour et l’attachement de Ouèn-kiun, il en a perdu jusqu’au souvenir.

Pour elle, ses yeux sont devenus deux sources de larmes,

Qui coulent abondamment sur sa couverture de soie rose.

A la cinquième veille, au troisième chant du coq,

Aux premières lueurs du jour, elle avait composé la Chanson des têtes blanches.

Elle pousse de longs soupirs, elle néglige le soin de sa coiffure,

Elle lève la tête, comme pour dire au ciel : Que mon chagrin est profond !

Des remparts s’écroulèrent devant la femme de Ki-lang 10,

Les murs, eux-mêmes, ont montré qu’ils pouvaient s’attendrir.

Le flot qui s’est écoulé ne peut revenir à la source,

La fleur détachée de sa tige ne saurait retourner à l’arbre qui l’a laissée tomber.

Ces hirondelles de jade, ornement de ma chevelure11,

Elles étaient sur ma tête, le jour où je vous épousai ;

Je vous les offre aujourd’hui comme un souvenir,

Ne manquez pas de les essuyer souvent avec votre manche de soie.

Ne roulez point ma natte de loung-su,

Laissez les araignées y tendre leurs fils :

Laissez aussi mon oreiller d’ambre fin,

Vous y ferez encore des songes qui vous rappelleront le temps passé.

Le manteau de fourrure légère, enfermé dans ce meuble sculpté12,

Ne le placez jamais, je vous en prie, sur d’autres épaules que les vôtres.

Pour moi, je possédais un miroir magique13,

Un miroir où le cœur se reflète comme le visage au fond d’un puits ;

Je désire que vous le conserviez, pour y regarder votre nouvelle épouse,

Et qu’il vous serve plus tard à vous bien connaître tous les deux.

Une fois l’eau répandue, c’est en vain qu’on essaierait de la recueillir pour emplir de nouveau la tasse,

Ouèn-kiun partie, c’est en vain que Siang-ju la rappellerait près de lui.

1. Sse-ma Siang-ju, auteur célèbre, était encore pauvre et inconnu, lorsque Ouèn-kiun, fille d’un haut dignitaire de l’Empire, s’enthousiasma de son talent et quitta le palais de son père pour suivre le poète qui lui jurait un attachement éternel. Plus tard, appelé à la Cour, étourdi par une fortune rapide, Siang-ju voulut prendre une seconde femme. C’est alors que Ouèn-kiun composa et lui envoya la Chanson des têtes blanches, devenue populaire à la Chine, du temps de Li-taï-pé. J’ai dit, dans l’Introduction de ce livre, ce qui m’a surtout engagé à donner cette longue amplification du poète des Thang sur une chanson si courte. Voici maintenant la pièce originale, que je trouve, en note, dans l’édition des Œuvres complètes de Li-taï-pé.

L’extrême concision du chinois oblige à sous-entendre : Vous me disiez : nous deviendrons ensemble :

Blancs comme la neige sur les montagnes,

Blancs comme la lune au milieu des nuages.

J’apprends aujourd’hui que vous avez deux pensées,

Et c’est pourquoi je vais me séparer de vous.

Une dernière fois je remplirai ma tasse du même vin qui remplira la vôtre,

Puis je m’embarquerai ; je quitterai ce rivage ;

Je voguerai sur les eaux du Yu-keou.

Elles aussi se divisent pour couler à l’Est et à l’Ouest.

Vous êtes tristes, vous êtes tristes, jeunes filles qui vous mariez ;

Et pourtant vous ne devriez pas pleurer,

Si vous pensez avoir trouvé un homme de cœur,

Dont la tête blanchisse avec la vôtre, sans que vous vous quittiez jamais.

2. Youèn est le nom du mâle, yang est celui de la femelle. Ces oiseaux que l’on appelle en France canards mandarins, et en Angleterre mandarin-dukes, vivent par paire et ne se quittent jamais. Ils sont, en Chine, le symbole de l’amour conjugal.

3. Le texte dit littéralement : Si le mâle s’arrête sous les arbres du palais des Han, sa compagne se joue dans les roseaux en fleur du jardin des Thsin. Palais des Han et jardin des Thsin sont, pour les Chinois, des synonymes désignant clairement la même résidence impériale sur la rive du fleuve Kin, dans le Sse-tchuen.

Ici, comme en quelques passages analogues, j’ai cru qu’il valait mieux donner en note le sens littéral, que d’introduire dans la traduction une phrase obscure pour le lecteur européen.

4. C’était l’impératrice, femme de Vou-ti, de la dynastie des Han, auquel ce prince était très attaché. Un nuage, toutefois, s’étant élevé entre eux, Ngo-kiao se vit reléguée dans le palais de Tchang-mèn. Ce fut alors qu’elle recourut au talent de Siang-ju pour réveiller l’attention de l’empereur et pour le ramener vers elle au moyen d’une éloquente et poétique interprétation de ses sentiments.

5. Ville renommée pour la beauté de ses femmes.

6. Sorte de roseaux très fins et très doux avec lesquels on fabrique des nattes qui servent de lit. Les Chinois ne font usage ni de matelas, ni de lits de plume. La fraîcheur est surtout ce qu’ils recherchent, et les oreillers, le plus souvent de bois ou de jonc, sont parfois de porcelaine, d’ivoire, ou d’ambre.

7. Il existait du temps des Soung un très habile maître-maçon, nommé Han-pong, lequel avait une femme charmante, qui attira l’attention du souverain. Ayant inutilement tenté de la séduire, le roi imagina de confier à Han-pong la construction d’une tour très élevée, la tour Tsing-lo, et saisissant un prétexte qu’il s’était lui-même préparé pour accuser le constructeur de malversation, il lui fit trancher la tête aussitôt que l’ouvrage fut achevé. Alors il manda la veuve. « Vous êtes une femme qui entend ses devoirs, lui dit-il, et vous avez bien fait de demeurer fidèle à votre époux, mais à présent qu’il est mort, rien ne s’oppose plus, je suppose, à ce que vous m’apparteniez. Mon intention est donc de vous épouser à mon tour. » La jeune femme parut se laisser séduire par la haute fortune qui lui était proposée ; elle fit seulement remarquer au roi que Han-pong n’étant pas encore enterré, il serait tout à fait contraire aux bienséances de ne point procéder d’abord à ses funérailles, et elle obtint l’autorisation de s’en charger ; mais elle profita de la liberté momentanée qui lui était rendue pour monter à la tour Tsing-lo, et trouver la mort en se précipitant du haut de ce fatal monument.

8. Le char rouge et les quatre chevaux sont les attributs des hautes fonctions auxquelles l’empereur l’avait appelé. Pour atteler quatre chevaux à son char il faut être d’un rang élevé.

9. Littéralement : un matin encore il fit (la fameuse pièce intitulée) Lan ta jin. L’empereur en fut si joyeux qu’il parut comme ravi dans les nuages.

10. Encore une allusion historique. Le commentaire nous dit que Ki-lang était un soldat qui fut tué dans un assaut. Sa femme, en l’apprenant, eut une explosion de douleur si touchante que les remparts de la ville s’en écroulèrent d’attendrissement.

11. L’empereur Han-vou-ti recevait dans son palais de Tchao-ting les visites d’une fée (chin-niu) qui oublia un jour une épingle de jade retirée de sa coiffure. L’empereur en fit présent à la favorite Fey-yen. Plus tard, sous le règne de l’empereur successeur, les femmes du palais, ayant trouvé ce bijou, s’effrayèrent de son éclat qui leur parut surnaturel, et après une nuit de réflexion, elles résolurent de le briser. Mais quand elles ouvrirent de nouveau la boîte où elles l’avaient renfermé la veille, elles n’y trouvèrent qu’une hirondelle blanche qui prit aussitôt son vol vers le ciel. Alors, ajoute un commentateur, toutes les femmes du palais voulurent avoir des épingles de tête ornées d’hirondelles de jade, et la mode s’en perpétua.

12. Il est plusieurs sortes de dépouilles d’oiseaux dont les Chinois se servent comme de fourrures pour garnir leurs vêtements. Quelques-unes sont d’un grand prix. Il s’agit ici, dit le commentaire, d’un vêtement que le poète avait reçu lui-même en présent de Ouèn-kiun, au temps où il était pauvre et où il lui faisait la cour.

13. Le texte porte littéralement : Un miroir (comme celui) du pavillon des Thsin. Or, on trouve, à ce sujet, dans un curieux et vieux livre chinois intitulé Si king tsa ki (mémoires divers sur les antiquités de la capitale de l’ouest, c’est-à-dire Tchang-ngan), la singulière notice que voici : « Dans le palais de Hien-yang (l’un des sept palais de cette antique capitale), il y avait un miroir carré, large de 4 tchy et haut de 5 tchy et 9 tsun (environ un mètre et demi sur deux mètres), où l’on voyait clairement l’intérieur aussi bien que l’extérieur des gens. Il suffisait de l’appliquer sur le cœur de quelqu’un pour connaître aussitôt la nature de ses pensées ; car si le cœur était pervers, il se mettait à battre violemment. L’empereur Thsin-chi-hoang-ti en faisait souvent l’épreuve sur ses femmes. »

n° 12.

Le poète descend du mont Tchong-nân1
et passe la nuit à boire avec un ami

Le soir étant venu, je descends de la montagne aux teintes bleuâtres ;

La lune de la montagne semble suivre et accompagner le promeneur,

Et s’il se retourne pour voir la distance qu’il a parcourue,

Son regard se perd dans les vapeurs de la nuit.

Nous arrivons en nous tenant par la main devant une rustique demeure,

Un jeune garçon nous ouvre la barrière formée de rameaux entrelacés ;

Nous passons par un étroit sentier dont les bambous touffus rendent l’entrée mystérieuse,

Et les grandes herbes verdoyantes frôlent gaiement la soie de nos vêtements.

Ma joie éclate de nous trouver ensemble dans cette retraite charmante,

Nous nous versons l’un à l’autre un vin d’une saveur exquise ;

Je chante, je chante la chanson du vent qui souffle à travers les pins,

Et ma verve ne s’épuise qu’à l’heure où s’efface la voie lactée.

J’ai perdu ma raison et cela excite encore votre gaieté, mon prince ;

Nous oublions tous deux, avec délices, les préoccupations de la vie réelle.

1. Montagne renommée pour ses sites pittoresques, à peu de distance et au sud-ouest de Si-ngnan-fou (autrefois Tchang-ngan), sur les bords du lac Meï-peï.

Voir le texte chinois et la traduction anglaise de Bynner : Tangshi 5.

n° 13.

Pensée dans une nuit tranquille1

Devant mon lit, la lune jette une clarté très vive ;

Je doute un moment si ce n’est point la gelée blanche qui brille sur le sol.

Je lève la tête, je contemple la lune brillante ;

Je baisse la tête et je pense à mon pays.

1. Cette petite pièce appartient au genre que les Chinois nomment vers coupés, c’est-à-dire où, sans préambule, l’on entre tout droit dans le sujet. Peut-être ne sera-t-il pas sans intérêt de voir comment l’analyse un commentateur chinois :

« Li-taï-pé, dit-il, trouve moyen d’être ici tout à la fois d’une concision, d’une clarté et d’un naturel extrêmes, et c’est précisément parce qu’il est naturel, qu’il fait toujours entendre infiniment plus qu’il ne dit. La lune jette une clarté brillante devant son lit ; il doute un moment si ce n’est point de la gelée blanche ; nous jugeons, sans qu’il nous le dise, qu’il dormait, qu’il s’est éveillé et qu’il est d’abord dans ce premier instant du réveil où les idées sont confuses. Il pense aussitôt à la gelée blanche, c’est-à-dire au point du jour, à l’heure où l’on se met en route. N’est-ce pas la première pensée d’un voyageur qui se réveille ?

« Il a levé la tête ; il aperçoit la lune, il la contemple ; puis il baisse la tête et pense à son pays. C’était bien un voyageur ou un exilé. Ce dernier mot ne laisse plus de doute. En voyant cette brillante lumière, il a songé naturellement qu’elle éclairait aussi des lieux qui lui sont chers, il regrette avec amertume de passer une nuit si belle loin de chez lui.

« Le poète nous a fait suivre jusqu’ici la marche de ses pensées par une route si droite que nous n’avons pu nous en écarter. En terminant par ces seuls mots : Je pense à mon pays, il laisse chacun imaginer les pensées tristes qui l’assailleraient lui-même s’il était absent, et après avoir lu sa pièce, chacun se prend à rêver. »

Voir le texte chinois et la traduction anglaise de Bynner : Tangshi 233.

n° 14.

La perdrix et les faisans1

Bien haut dans la montagne Kou-tcho2, par une claire et belle nuit d’automne,

Sur le versant méridional, une perdrix, arrêtant son vol, s’est cachée entre les bambous.

Elle a pour époux un oiseau sauvage des montagnes de la Tartarie,

Hélas ! soupire-t-elle, il voudrait m’emmener avec lui au-delà des frontières du Nord.

Mais le faisan et sa compagne sont venus me prêter leurs conseils ;

(Ils m’ont dit :) Bien souvent l’oiseau du Midi est opprimé par celui du Nord,

Il règne au-delà des frontières un froid glacial, coupant comme le glaive, meurtrier comme la lance ;

Et votre époux voudra faire son nid dans les grands arbres, et vous pourrez difficilement l’en empêcher.

Au fond du cœur, j’ai juré de mourir plutôt que de me mettre en route.

Ainsi gémit la pauvre perdrix, sa frayeur et son chagrin sont extrêmes, ses larmes coulent abondamment.

1. Cette pièce renferme une allusion qui sera facilement saisie. Quand la paix succédait à la guerre entre les Chinois et leurs belliqueux voisins de la Tartarie, cette paix fut souvent cimentée par des unions dont les Chinoises se regardaient toujours comme les victimes. Que le poète se soit inspiré ici, en général, d’une situation assez fréquente de son temps, ou qu’il ait composé cette pièce, comme le suppose un commentateur, à l’occasion de quelque aventure particulière, il ne m’a pas moins paru intéressant de la faire entrer dans un cadre où je cherche à réunir ce qui peut contribuer à peindre le siècle des Thang, au point de vue historique aussi bien qu’au point de vue littéraire.

2. Montagne du Kiang-nan.

n° 15.

Chanson à boire

Seigneur, ne voyez-vous donc point les eaux du fleuve Jaune ?

Elles descendent du ciel et coulent vers la mer sans jamais revenir 1.

Seigneur, ne regardez-vous donc point dans les miroirs qui ornent votre noble demeure,

Et ne gémissez-vous pas en apercevant vos cheveux blancs ?

Ils étaient ce matin comme les fils de soie noire,

Et, ce soir, les voilà déjà mêlés de neige.

L’homme qui sait comprendre la vie doit se réjouir chaque fois qu’il le peut,

En ayant soin que jamais sa tasse ne reste vide en face de la lune2.

Le ciel ne m’a rien donné sans vouloir que j’en fasse usage ;

Mille pièces d’or que l’on disperse pourront de nouveau se réunir.

Que l’on cuise donc un mouton, que l’on découpe un bœuf, et qu’on soit en joie ;

Il faut qu’ensemble aujourd’hui, nous buvions d’une seule fois trois cents tasses3.

Les clochettes et les tambours, la recherche dans les mets ne sont point choses nécessaires,

Ne désirons qu’une longue ivresse, mais si longue qu’on n’en puisse sortir.

Les savants et les sages de l’Antiquité n’ont eu que le silence et l’oubli pour partage ;

Il n’est vraiment que les buveurs dont le nom passe à la postérité.

1. La mythologie chinoise place les sources du fleuve Jaune dans la voie lactée. On trouvera cette fable rapportée plus loin, aux notes de la pièce de Ouang-leng-jèn, ayant pour titre : Sur un vieil arbre couché au bord de l’eau...

2. Pour les Chinois, qui n’ont guère de soirées aux flambeaux, le clair de lune est toujours une occasion de prolonger la veillée. Ne jamais laisser sa tasse vide en face de la lune équivaut donc à dire : ne jamais perdre une occasion de boire et de se divertir.

3. Ce nombre de trois cents tasses est évidemment hyperbolique. Il est bon de noter toutefois que ces tasses pour boire le vin, qui figurent invariablement dans les réunions d’amis et de poètes, ne sont pas même de la contenance de nos plus petits verres à liqueur. Il est vrai d’ajouter aussi que le vin des Chinois n’est le plus souvent que de l’eau-de-vie de grain.

La culture des lettres étant la principale préoccupation des classes élevées, chez un peuple où les succès littéraires deviennent la clef de toutes les carrières, des passe-temps très goûtés sont ceux où l’on fait assaut de verve et d’érudition. Toute erreur, toute lenteur d’inspiration, tout défaut de mémoire sont punis, suivant la gravité des cas, d’une ou plusieurs tasses à vider. Les plus habiles acceptent des défis dont le résultat se devine, et chacun arrive bientôt à cet état de demi-ivresse, pouàn-tsieou, si vanté par les poètes chinois.

Quant à Li-taï-pé, il faut malheureusement constater qu’il n’était guère dans ses principes de s’en tenir là.

Voir le texte chinois et la traduction anglaise de Bynner : Tangshi 85.

n° 16.

A cheval ! à cheval et en chasse !

L’homme des frontières

En toute sa vie n’ouvre pas même un livre ;

Mais il sait courir à la chasse ; il est adroit, fort et hardi.

A l’automne son cheval est gras, l’herbe de ses prairies lui convient à merveille ;

Quand il galope il n’a plus d’ombre.

Quel air superbe et dédaigneux !

Son fouet sonore frappe la neige, ou résonne dans l’étui doré.

Animé par un vin généreux, il appelle son faucon et sort au loin dans la campagne.

Son arc, arrondi sous un effort puissant, ne se détend jamais dans le vide ;

Deux oiseaux tombent souvent ensemble, abattus d’un seul coup par la flèche sifflante.

Les gens, au bord de la mer, se rangent tous pour lui faire place,

Car sa vaillance et son humeur guerrière sont bien connues dans le Kobi1.

Combien nos lettrés diffèrent de ces promeneurs intrépides !

Eux qui blanchissent sur les livres, derrière un rideau tiré ;

Et, en vérité, pour quoi faire ?

1. Le Kobi, Gobi, ou Chamo est cette immense steppe de l’Asie centrale qui s’étend dans la Mongolie, au nord du Tibet et de la Chine, sur une longueur de 3 300 kilomètres et sur une largeur de plus de 700. La végétation, pour y être très pauvre, n’y manque pas absolument ; les marais y sont nombreux. Des hordes tartares la parcourent encore aujourd’hui.

n° 17.

Quand les femmes de Yu-tien
cueillaient des fleurs

Quand les femmes de Yu-tien1 cueillaient des fleurs,

Jadis, elles disaient : ces fleurs nous ressemblent ;

Mais lorsqu’un matin la fiancée du palais des Han2 arriva d’Occident,

Il y eut, en Tartarie, beaucoup de belles filles qui moururent de honte.

Elles voyaient que parmi les belles filles, si nombreuses dans le pays des Han3,

Il en est auxquelles nulle fleur de Tartarie ne saurait se comparer.

La beauté fut trahie par les portraits menteurs d’un peintre perfide4,

Tandis qu’au fond d’un palais, Vou-yen5 vécut paisiblement.

De tout temps les charmantes filles ont eu cruellement à souffrir de l’envie,

Aussi les sables de la Tartarie reçurent-ils le beau corps de Tchao-kiun6.

1. C’est l’ancienne dénomination du pays de Kho-tan.

2. Il s’agit ici de la belle Tchao-kiun. Voir la note 6 ci-après.

3. La dynastie des Han régnait en Chine à l’époque dont il s’agit. Le pays des Han signifie donc ici l’Empire chinois, comme l’expression palais des Han doit s’entendre, plus haut, du palais impérial.

4. Pour rendre ce vers intelligible, j’ai cru devoir m’attacher au sens général plutôt qu’au texte littéral qui aurait exigé un long commentaire tout à fait inopportun.

5. Vou-yen était une femme du roi de Tsi, que ce prince avait épousée parce qu’elle lui donnait de bons conseils, mais dont la laideur était si grande qu’elle était devenue proverbiale. Voici, du reste, comment le commentateur de Li-taï-pé nous décrit naïvement ce type de la laideur chinoise : Vou-yen, dit-il, avait le front dégarni, les yeux enfoncés, les doigts longs et épais, le nez retourné, un nœud à la gorge, le cou gros, les cheveux rares, le dos rond, l’estomac saillant et la peau noire. Elle avait atteint sa trentième année sans que personne consentît à l’épouser.

6. Tchao-kiun fut une de ces innombrables recluses, que le faste monstrueux des souverains de la Chine enferme par milliers dans les résidences impériales. Jamais, peut-être, elle n’eût attiré un regard du maître, sans des circonstances singulières que racontent les commentateurs chinois :

Le fondateur de la dynastie des Han, Kao-hoang-ti, venait de conclure, en personne, la paix avec un khan des Tartares et celui-ci, comme gage du traité, demandait qu’une fleur du palais des Han, c’est-à-dire une jeune Chinoise du gynécée impérial lui fût donnée en mariage. Ces alliances, dont l’histoire offre de nombreux exemples, répugnaient toujours au souverain de l’Empire du Milieu dont ils blessaient l’orgueil. Cependant Kao-hoang-ti, ne pouvant refuser, résolut du moins de ne donner au Tartare qu’une fleur commune et de peu de valeur. A cet effet, et comme il était loin de connaître lui-même l’étendue de ses richesses, ordre fut expédié par un courrier de faire exécuter promptement les portraits de toutes les jeunes filles vierges des appartements intérieurs, avec l’indication sur chacun d’entre eux des noms, du jour de naissance et de la famille de l’original.

A peine le courrier porteur de cette nouvelle fut-il arrivé à la capitale, qu’une immense rumeur se répandit dans le palais. L’empereur allait faire venir une de ses femmes ; il choisirait sur les portraits demandés par lui. Le pouvoir et la faveur étaient en perspective. Les peintres, circonvenus de tous côtés, mirent à prix d’or leur complaisance ; les jeunes filles dont les familles étaient pauvres et obscures, furent cruellement sacrifiées au profit de leurs rivales. L’œuvre achevée, le courrier repartit, emportant cette infinité de portraits dont la véritable destination avait été si mal devinée et qui bientôt furent étalés sous les yeux de l’empereur.

Kao-hoang-ti distingua tout d’abord un visage assez ingrat, que la suscription indiquait précisément comme appartenant à une personne de famille obscure, et sans faire part au khan, bien entendu, des considérations qui l’avaient guidé dans son choix, il lui remit sur-le-champ la tablette des noms et du jour de naissance de Tchao-kiun, ce qui, suivant les rites consacrés, équivalait à un acte de fiançailles irrévocable. Mais lorsque, mandée sans retard au camp impérial, la fiancée du prince tartare vint prendre congé de celui qui avait été son maître et qui n’était déjà plus son souverain, quel fut l’étonnement du premier des Han en voyant apparaître, si l’on en croit l’histoire, une beauté si parfaite et si éclatante qu’il en demeura comme ébloui ! Un violent sentiment de regret et de jalousie le mordit au cœur tout aussitôt. Revenir sur son choix était d’autant plus impossible que le khan, présent à l’audience, témoignait hautement de sa joie et de son admiration. Le Tartare emmena donc Tchao-kiun, et l’empereur reprit, plein de rage, la route de sa capitale.

En vain s’empressa-t-il, à son arrivée, de faire décapiter le peintre infidèle ; en vain chercha-t-il l’oubli dans les distractions de toute sorte. L’image de celle qu’il avait livrée lui-même le poursuivait sans cesse, mêlant du fiel à tous ses plaisirs. Alors, l’idée lui vint que peut-être le khan n’appréciait pas à sa valeur la perle qu’il lui avait donnée, que peut-être il serait plus sensible à cent chameaux chargés d’or et de présents, et les cent chameaux partirent avec un ambassadeur ayant pour mission de proposer cet échange singulier. Mais Tchao-kiun régnait sur le khan, comme le khan sur ses Tartares. L’ambassadeur tremblant et contristé s’en revint avec ses richesses, et plusieurs années s’écoulèrent sans que l’empereur sortît d’une humeur sombre dans laquelle il était tombé.

Un jour on apprit que la belle princesse venait de mourir à la fleur de l’âge ; la caravane se remit aussitôt en marche ; elle allait, cette fois, demander le corps de la morte, afin que la sépulture lui fût donnée dans sa terre natale. Mais le khan fit répondre qu’il ne vendrait point sa femme morte non plus qu’il ne l’aurait vendue vivante ; que ses restes devaient reposer dans le pays dont elle avait été la souveraine, et où lui-même serait enterré. Et il fit élever à Tchao-kiun, dans la terre des herbes, un mausolée célèbre, auquel les poètes chinois ont souvent consacré des vers.

On trouvera notamment dans ce volume une pièce intitulée : le Tombeau de Tchao-kiun, par Tchang-kien.

n° 18.

A l’heure où les corbeaux
vont se percher sur la tour de Kou-sou

A l’heure où les corbeaux vont se percher sur la tour de Kou-sou1,

Dans le palais du roi de Ou, la belle Si-chy2 déploie tout l’entrain de l’ivresse.

Elle chante les plus joyeuses chansons, elle danse les pas les plus lascifs ;

La moitié du soleil a déjà disparu derrière les coteaux verdoyants, mais sa gaieté ne faillit point.

La flèche d’argent de la clepsydre d’or indique vainement que la nuit s’écoule ;

Voyez la lune d’automne comme elle s’abaisse peu à peu vers les eaux du Kiang ;

Voyez comme à l’orient le ciel blanchit ; nous annonçant l’aurore.

Le palais est toujours en joie. Quelle joie ! quelle ivresse ! quels plaisirs3 !

1. Aujourd’hui Sou-tcheou.

2. Fou-tchaï, l’un des anciens souverains du pays de Ou, petit royaume créé par Vou-ouang et réuni à la Chine par le fondateur de la dynastie des Thsin, avait fait serment de coucher sur la terre nue et de mêler du fiel à tous ses aliments tant qu’il n’aurait pas vengé la mort de son père, pris et tué par un prince voisin, le roi de Youe. Il vécut ainsi de longues années, uniquement occupé de relever ses forces épuisées et de préparer l’exécution de ses desseins. Un jour enfin il se mit en campagne, et le roi de Youe, vaincu à son tour, n’eut d’autres ressources que de se réfugier sur le lac King-hou (voir n. 2 et 3 à la suite de la Chanson des quatre saisons, p. 131), avec ses femmes et quelques officiers dévoués à sa personne. Sa perte paraissait inévitable, quand il dut un salut inespéré aux charmes de la belle Si-chy.

Si-chy était une jeune fille que le vainqueur, à la tête de ses cavaliers, avait surprise lavant de la gaze au bord d’une fontaine ; elle avait disparu dans le premier tumulte ; mais il voulait la retrouver à tout prix. Le roi de Youe fit savoir qu’elle était entre ses mains, et qu’on ne la prendrait point vivante, si la vie sauve ne lui était accordée à lui-même. Fou-tchaï entra d’abord dans une effroyable colère, puis il finit par céder à la violence de sa passion naissante, sacrifiant à la possession de la charmante Si-chy les douceurs d’une vengeance si longtemps méditée. De retour dans ses Etats, il oublia si bien tout autre soin que celui des plaisirs dont l’enivrait sa belle captive, que son ennemi en profita pour relever à son tour sa puissance abattue ; et l’infortuné roi de Ou périt comme son père, vaincu et tué par le roi de Youe.

Si-chy et la danseuse Fey-yen dont l’empereur Vou-ti, des Han, fit une impératrice, sont les deux figures historiques le plus souvent évoquées par les poètes des Thang, comme types de beauté, de grâce, et de séduction.

3. Il est assez difficile de déterminer dans quel esprit cette pièce fut conçue. Est-ce un cri d’admiration, pour cet oubli de tout dans le plaisir ? La philosophie de Li-taï-pé pourrait assurément le faire supposer. Etait-ce au contraire un avertissement détourné, à l’adresse de l’empereur, qui compromettait alors son trône par sa passion désordonnée pour Taï-kiun, comme l’avait jadis perdu le roi de Ou, en ne songeant qu’aux séductions de la belle Si-chy ? On peut également l’admettre. Les commentateurs laissent le jugement libre à cet égard.

n° 19.

Chanson des frontières

Au cinquième mois la neige n’est pas encore fondue dans les montagnes célestes1,

Pas une fleur ne se montre sous un climat si rigoureux ;

On entend bien jouer sur la flûte l’air printanier de la chanson des saules2,

Mais la couleur du gai printemps ne s’offre nulle part aux yeux.

L’aurore paraît, il faut combattre, attentif aux ordres pressés de la cloche ou du tambour3 ;

La nuit vient, on dort sans quitter la selle, en tenant embrassée l’encolure de son cheval.

Que ne puis-je, saisissant le sabre qui pend à ma ceinture,

Abattre moi-même d’un seul coup la tête du barbare Leou-lan4 !

1. Les monts Célestes sont le prolongement des monts Belour, qui forme le versant septentrional de la vallée du Tarim.

2. Il s’agit ici d’une vieille chanson en l’honneur du printemps, dont le premier couplet célèbre les jeunes pousses du saule.

3. Les ordres du chef se transmettaient aux soldats au moyen de tambours et de cloches. Les tambours servaient pour régler les mouvements en avant, et les cloches pour sonner la retraite. Cet usage s’est conservé, la cloche ayant toutefois été remplacée par le gong.

4. Leou-lan était un prince tartare, qui se rendit fameux par sa perfidie et par ses cruautés. Il fit égorger une fois des ambassadeurs dont il avait tout exprès sollicité l’envoi, et déjoua longtemps les efforts des généraux chinois, jusqu’à ce qu’enfin il fût pris et décapité, ce qui rendit le repos aux soldats.

n° 20.

Même sujet (chanson des frontières)

L’automne, c’est le temps que nos voisins des frontières choisissent pour descendre de leurs montagnes ;

Il faut passer la grande muraille et se porter au-devant d’eux.

Le tigre de bambou est partagé1, le général s’est mis en marche ;

Les soldats de l’Empire ne s’arrêteront plus que dans les sables du Kobi2.

Le croissant de la lune, suspendu dans le vide, c’est tout ce qu’on aperçoit dans ce farouche désert,

Où la rosée se cristallise sur le fer poli des sabres et des cuirasses.

Bien des jours s’écouleront encore avant celui du retour.

Ne soupirez point, jeunes femmes, il faudrait soupirer trop longtemps.

1. Quand un général devait partir pour une expédition lointaine, l’empereur brisait ou fendait, en deux morceaux, une tablette d’ivoire ou de bambou sur laquelle était sculptée la figure d’un tigre, et lui en remettait la moitié. C’était pour lui l’ordre de départ et aussi, dans les circonstances graves, le moyen d’éviter un piège, en établissant l’authenticité d’une dépêche ou la véracité d’un messager. En effet, si l’empereur jugeait à propos d’expédier quelque contre-ordre ou quelques instructions nouvelles, son envoyé devait présenter la seconde moitié du tigre brisé, et le général n’obéissait qu’après avoir constaté que les deux brisures s’adaptaient parfaitement l’une à l’autre.

2. Voir la note ci-dessus, p. 160.

n° 21.

Pensées d’automne1

Voici déjà le temps où, dans la montagne, on voit tourbillonner les feuilles jaunies,

Montons en haut de cette tour, d’où la vue peut s’étendre au loin.

Du côté de la mer, des nuages gris allongent leurs formes déchirées ;

Partout c’est l’automne qui s’annonce à nos yeux attristés.

Les hordes tartares s’amoncellent aux frontières du Kobi 2.

Hélas ! voilà l’ambassadeur des Han qui revient par la porte de jade3 ;

Reviendront-ils un jour ceux que la guerre réclame !

Le parfum de la fleur se consume dans le vide ; sa tête se penche, elle dépérit.

1. Le poète fait parler la femme d’un soldat.

2. Voir la note ci-dessus, p. 160.

3. Yu-mên. C’était une des portes fortifiées de la Grande Muraille. Le retour précipité de l’ambassadeur par cette porte indique qu’il a échoué dans ses propositions de paix.

n° 22.

Offert à un ami
qui partait pour un long voyage

Le jour d’hier qui m’abandonne, je ne saurais le retenir ;

Le jour d’aujourd’hui qui trouble mon cœur, je ne saurais en écarter l’amertume.

Les oiseaux de passage arrivent déjà, par vols nombreux que nous ramène le vent d’automne.

Je vais monter au belvédère, et remplir ma tasse en regardant au loin.

Je songe aux grands poètes des générations passées ;

Je me délecte à lire leurs vers si pleins de grâce et de vigueur.

Moi aussi, je me sens une verve puissante et des inspirations qui voudraient prendre leur essor ;

Mais pour égaler ces sublimes génies, il faudrait s’élever jusqu’au ciel pur, et voir les astres de plus près.

C’est en vain qu’armé d’une épée, on chercherait à trancher le fil de l’eau ;

C’est en vain qu’en remplissant ma tasse, j’essaierais de noyer mon chagrin.

L’homme, dans cette vie, quand les choses ne sont pas en harmonie avec ses désirs,

Ne peut que se jeter dans une barque, les cheveux au vent, et s’abandonner au caprice des flots.

Voir le texte chinois et la traduction anglaise de Bynner : Tangshi 56.

n° 23.

Le cri des corbeaux
à l’approche de la nuit

Près de la ville, qu’enveloppent des nuages de poussière jaune1, les corbeaux se rassemblent pour passer la nuit.

Ils volent en croassant, au-dessus des arbres ; ils perchent dans les branches, en s’appelant entre eux.

La femme du guerrier, assise à son métier, tissait de la soie brochée ;

Les cris des corbeaux lui arrivent, à travers les stores empourprés par les derniers rayons du soleil.

Elle arrête sa navette. Elle songe avec découragement à celui qu’elle attend toujours.

Elle gagne silencieusement sa couche solitaire, et ses larmes tombent comme une pluie d’été2.

1. Dans les poésies des Thang, des nuages de poussière jaune indiquent toujours le voisinage des Tartares et désignent les tourbillons de poussière que soulevaient leurs nombreux chevaux.

2. Avec les traditions européennes, ce croassement des corbeaux devrait éveiller l’idée d’un champ de bataille jonché de cadavres, et l’on attribuerait les larmes de la jeune femme aux présages de sinistre augure que ce bruit ferait naître dans son esprit. Il n’en est pas de même chez les Chinois. Le cri des corbeaux, à l’approche de la nuit, est pris pour un appel du mâle qui cherche sa compagne afin de percher auprès d’elle, et de celle-ci qui lui répond. Bien que l’impression définitive soit toujours une impression de tristesse, on voit que l’association des idées se produit différemment.

On rencontrera souvent ce fait de certains spectacles de la nature, de certaines images ayant également impressionné les Chinois et les Occidentaux, mais ayant pris, dans le langage symbolique de la poésie, des significations très différentes.

n° 24.

La chanson du chagrin1

Le maître de céans a du vin, mais ne le versez pas encore :

Attendez que je vous aie chanté la Chanson du chagrin.

Quand le chagrin vient, si je cesse de chanter ou de rire,

Personne, dans ce monde, ne connaîtra les sentiments de mon cœur.

Seigneur, vous avez quelques mesures de vin,

Et moi je possède un luth long de trois pieds2 ;

Jouer du luth et boire du vin sont deux choses qui vont bien ensemble.

Une tasse de vin vaut, en son temps, mille onces d’or.

Bien que le ciel ne périsse point, bien que la terre soit de longue durée,

Combien pourra durer pour nous la possession de l’or et du jade ?

Cent ans au plus. Voilà le terme de la plus longue espérance.

Vivre et mourir une fois, voilà ce dont tout homme est assuré.

Ecoutez là-bas, sous les rayons de la lune, écoutez le singe accroupi qui pleure, tout seul, sur les tombeaux3.

Et maintenant remplissez ma tasse ; il est temps de la vider d’un seul trait.

1. Les strophes de cette pièce sont entrecoupées, dans le texte original, par les mots répétés, Pei laï ho ! Pei laï ho ! (le chagrin arrive ! le chagrin arrive !) qui en forment ce que nous appellerions le refrain, et qui sont aussi le titre de la chanson. Si je n’ai pas cru devoir conserver cette forme dans la traduction, c’est qu’en chinois l’intention de ces trois mots réunis est de produire une imitation des sanglots, qui ne peut subsister en français.

La Chanson du chagrin est précédée de la Chanson du rire, où le rire est imité d’une manière analogue, par le refrain siao hy hou, siao hy hou, composé du mot rire, suivi de deux onomatopées sans autre valeur que leur son.

L’auteur s’y moque de toutes les ambitions et de toutes les inconséquences humaines avec son scepticisme habituel. « Ne voyez-vous point, dit-il, que prendre la forme d’un crochet fut, de toute Antiquité, le moyen sûr d’arriver aux honneurs et à la fortune ; tandis que demeurer droit comme une corde de luth a toujours été la recette infaillible pour mourir de faim sur les grands chemins ? Riez donc, riez donc avec moi. »

J’aurais voulu placer la traduction de la Chanson du rire à côté de celle de la Chanson du chagrin, comme dans l’édition chinoise, mais l’auteur y prodigue tellement les noms propres, les citations et les allusions historiques, derrière lesquelles se cachaient sans doute de nombreuses personnalités, qu’il m’eût fallu accompagner chaque vers et presque chaque mot d’une glose perpétuelle, hors de proportion avec le texte, et fatigante pour le lecteur.

2. Le désir de n’introduire dans ma traduction que le moins possible de mots étrangers m’a déterminé à rendre par luth le nom de l’instrument chinois appelé kin, tout en reconnaissant que ce n’est point tout à fait un équivalent. Le kin est un instrument, ayant sept cordes, dont les Chinois ont fait usage dès la plus haute Antiquité, soit pour jouer des airs, soit pour s’accompagner en chantant. Il en est question dans les poésies chinoises aussi souvent que de la lyre et du luth chez les poètes de l’Occident, mais il y a cette différence que le kin n’est point une métaphore. Le poète chinois a son kin comme les trouvères eurent leur mandoline et les romanceros leur guitare. On ne perdra point de vue que presque tous les vers chinois sont faits pour être chantés.

Longtemps avant que les Chinois eussent inventé l’art de travailler la soie et de l’employer à la fabrication des étoffes, ils avaient trouvé le secret de s’en servir pour les instruments de musique et d’en tirer des sons très doux. Le kin primitif ne consistait qu’en une simple planche de bois sec et léger sur laquelle étaient tendus plusieurs fils de soie, tordus avec les doigts. Peu à peu on façonna la planche ; elle fut courbée en voûte, et l’on y observa certaines dimensions.

Les Chinois de toutes les époques ont attaché le plus grand prix à leur kin. Sous les Tcheou (XIIe siècle avant l’ère chrétienne), les règles pour jouer du kin étaient gravées dans la partie creuse de l’instrument ; les musiciens devaient les savoir par cœur. Treize points, marqués par des clous d’or, indiquaient sur la table les principales divisions des cordes. La partie sur laquelle reposaient les cordes, du côté opposé au chevalet, était une pierre sonore ; le corps de l’instrument devait être fabriqué avec un bois particulier, et l’arbre dont on le tirait devait avoir été pris sur le versant d’une montagne, du côté opposé au midi.

Tous ces détails, minutieusement réglés depuis trente siècles, s’observaient encore très exactement à l’époque où le père Amiot écrivit son « Traité de la musique », inséré dans le tome VI des Mémoires concernant les Chinois.

3. Les singes, à l’état sauvage, étaient et sont encore très communs dans certaines parties de la Chine. Ils se tiennent souvent dans les lieux consacrés aux sépultures, les Chinois, pour ménager le sol cultivable, plaçant, en général, leurs tombeaux dans les sites les plus déserts et du plus difficile accès.

POÉSIES DE L'ÉPOQUE DES THANG traduites du chinois et présentées par le Marquis d'HERVEY-SAINT-DENYS
I. 1. Introduction ; 2. Antiquité ; 3. Pré Thang ; 4. Thang ; II. 1. Langue ; 2. Prosodie ; 3. Stylistique ; 4. Conclusion
Poésies de Li-taï-pé, Thou-fou, d'auteurs connus, d'auteurs moins connus.
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